Combien ancienne et douloureuse
est cette question des rapports entre christianisme et judaïsme.
Combien il y a là, dans le processus historique de l'humanité, de fautes
mutuelles, de haine, de sang. Massacre des Juifs d'un côté ; de l'autre,
meurtres perfides. Ici, ghetto; et là, mépris des goys. Et enfin, ces
dernières années : la sauvage théorie raciste avec ses hécatombes de millions
de victimes, de la part d'un des peuples "chrétiens"; et la
mainmise presque totale des juifs sur les courroies de transmission de
l'histoire humaine, avançant devant nos yeux la possibilité tout à fait
réelle de la judaïsation de toute l'humanité, sa soumission au judaïsme.
Nous voudrions parler des racines internes à ce problème gigantesque,
sans l'éclairage desquelles nous ne pouvons comprendre tous les processus
qui se déroulent devant nos yeux.
Qu'est-ce que le judaïsme ?
Est-ce un humble agneau poursuivi par tous, bien qu'innocent, comme on
voudrait quelquefois le présenter, ou bien un effrayant suppôt de l'enfer
ne ressemblant en rien au reste de l'humanité, tel que nous le dessinent
Rosanov, Ford, propagandistes germaniques ?
Pour répondre à cette question, pour comprendre combien sont fausses ces
deux images, il nous faut nous rappeler, du point de vue chrétien, l'histoire
du peuple hébreux qui ne nous est pas pour rien infiniment mieux connue
que celle de n'importe quel autre peuple.
Voulant accomplir le salut du genre humain et se greffer le sarment devenu
sauvage, aussitôt après la chute dans le péché le Seigneur commence à
faire un choix parmi les hommes : retranchant ce qui, de par sa radicale
perversion, ne peut servir à l'œuvre de préparation au salut et,
à l'inverse, mettant à part et préparant tout ce qui est valable.
Tout homme peut faire son salut, c'est-à-dire devenir apte à entrer au
Royaume de Dieu. Le seul obstacle gênant ou arrêtant le processus qui
fait mûrir l'âme humaine pour le Royaume de Dieu ne peut être que l'endurcissement
dans le péché habituel et l'entêtement en lui. Et en ce cas, par l'entêtement
dans le péché, l'homme est rejeté du milieu des vivants parce que dans
la création du monde par Dieu, il n'y a ni ne peut y avoir rien d'insensé
: or l'existence de l'homme qui ne mûrit pas pour le Royaume de Dieu et
qui ne peut pas mûrir n'a aucun sens.
On peut dire la même chose de peuples entiers. Celui qui voit les cœurs,
prévoyant l'être intérieur de chacun en particulier et de chaque peuple
et tribu, avait vu quel homme, quel peuple étaient capables de donner
à toute la vie son sens par maturation pour le Royaume de Dieu.
Il gardait ceux-là, et retranchait les autres.
Mais pour l'accomplissement
de l'œuvre du salut, découvrir des hommes aptes reste insuffisant
Il faut que le processus lui-même du salut s'accomplisse. Ce processus
a été créé par le Seigneur, mais il fallait impérativement aussi les armes
humaines. La part de l'homme dans l'œuvre de son salut est minime,
mais absolument nécessaire. L'homme n'est pas un caillou passif, l'homme
est à la ressemblance de Dieu. Il est une parcelle infime, limitée, de
ressemblance à l'Absolu Infini, et par la naturelle propriété de cette
ressemblance, il doit prendre une part active à l'œuvre de son salut.
L'individu, par la partie la meilleure et la plus active de son âme ;
et l'humanité, par la part la meilleure et la plus active des humains.
Le Seigneur dégage avec
le plus grand ménagement cette part, la meilleure et la plus active de
l'humanité, dans Son choix; Il fait un choix.
Dans les eaux du déluge est
détruite la part la plus mauvaise des humains : toute la descendance de
Caïn, et tous les descendants des autres enfants d'Adam et Eve, tentés
par la fusion avec ceux de Caïn. N'est sauvegardée que la meilleure descendance
du meilleur des enfants d'Adam : Seth.
Avec la tour de Babel, l'humanité
se voit attribuer une propriété nouvelle : la division en langues. L'humanité
jusque là unie, est divisée en cellules nationales, pour faire obstacle
au mal dans sa propagation universelle.
Utilisant cette nouvelle
propriété donnée par Lui aux hommes, le Seigneur met en avant en Chaldée
l'homme le plus saint, le plus fidèle à Dieu, qui, à une seule parole
du Seigneur, laisse sa patrie, la maison de son père et va vers une terre
étrangère où, selon le plan de Dieu, profitant de la division des hommes
en nationalité créées par Dieu, il ne se mélangera pas aux peuples qui
l'entourent.
Quelle image éclatante du
plus haut essor moral nous montre cet élu de Dieu, Abraham! Parti à l'étranger
par obéissance, ayant reçu de Dieu pour cela la promesse que de sa descendance
naîtrait le peuple de Dieu et qu'en lui seraient bénies toutes les tribus
de la terre, Abraham, de par la Parole de Dieu, est prêt à apporter en
sacrifice celui à travers lequel doit s'accomplir cette promesse de Dieu,
son fils unique, Isaac, se rendant par cet esprit de sacrifice semblable
à Dieu, augmentant ainsi sa ressemblance avec Lui.
Il est compréhensible que
Dieu dépose justement sur cet homme la gigantesque responsabilité d'être,
personnellement et par sa descendance, son instrument et participant actif
à l'œuvre du salut du genre humain.
Voilà de quel projet, le
plus élevé par sa magnificence, provient le peuple juif.
Afin de réaliser le plan
de Dieu, ce peuple doit posséder un éventail de propriétés : avant tout,
être fidèle à Dieu. Pour raffermissement de cette qualité, il passe à
travers une série d'épreuves : esclavage en Egypte, pérégrinations à travers
le désert, nourriture miraculeuse par la manne, et avec l'aide providentielle
de Dieu, il gagne victorieusement la Terre Promise. Il fallait que ce
peuple soit convaincu par expérience que toute sa force est en son Dieu,
afin qu'il comprenne qu'il est redevable d'une dette de reconnaissance
impossible à régler.
Ce peuple a pour devoir de
ne pas se mélanger à d'autres peuples, tombés dans l'idolâtrie. C'est
pourquoi, dans les premières générations après Abraham, il s'est forgé
à ne pas se mêler aux autres nations par le mariage de chacun de ceux
qui portent la plénitude de la promesse, c'est-à-dire Isaac et Jacob,
avec des femmes qui ne seraient pas des peuples d'alentour. Mais Esaü,
qui n'accomplit pas cette condition de la Providence, s'éloigne et sort
du choix.
Cette faculté de non fusion
avec les autres peuples, la séparation d'avec eux, s'est intégrée avec
la plus grande force dans le tissu spirituel et la chair du peuple juif,
et apparaît jusqu'à ce jour comme sa propriété la plus caractéristique.
Mais, malgré cette absence
de fusion avec les autres peuples, le peuple juif doit être non seulement
celui qui a été sélectionné dans l'humanité, mais aussi son représentant.
Il doit dans la mesure la plus grande, conserver l'unité avec toute l'humanité,
garder en lui la diversité humaine afin que toutes les branches de l'humanité
puissent reconnaître en lui leurs propriétés fondamentales, essentielles
à l'œuvre du salut.
Et cela aussi nous le voyons chez
le peuple juif. Le russe et l'africain, le français
et le japonais, tous comprennent ces processus de l'âme du Peuple élu,
que la Bible nous a inculqués. Et ce n'est pas en vain que les Pères Saints
de l'Eglise voient dans l'histoire du peuple juif l'histoire typologique
de chaque âme humaine : dans la captivité en Egypte et les travaux de
Pharaon - l'état de l'âme sous l'influence du péché; dans la fuite hors
d'Egypte - la libération du péché ; dans les quarante ans de pérégrination
à travers le désert - le déroulement de la purification du péché; dans
la révolte parallèle des juifs - la grogne fréquente des hommes au moment
des épreuves qui accompagnent cet accomplissement de la purification,
etc... "la viande de porc, les chaudrons et la nourriture égyptienne,
tu les as, 6 mon âme, préférés aux mets célestes, ainsi qu'autrefois le
peuple déraisonnable dans le désert (chant 6 du Grand Canon de Saint
André de Crète)".
D'un autre côté, et justement grâce à cette propriété de leur nature,
les juifs, que ce soit dans les premiers prêches chrétiens de l'Evangile,
ou dans la propagande de l'actuel antichristianisme, apparaissent les
meilleurs propagateurs de n'importe quel mouvement, dans n'importe quel
peuple.
En même temps qu'il dotait richement Son Peuple élu de tous les dons naturels
possibles, nécessaires à l'accomplissement de Son Plan, le Seigneur le
protégeait contre les dons superflus, inutiles. Par exemple, ce peuple
ne reçut pas la force politique. Il ne fut pas appelé à édifier des empires
gigantesques, comme les Perses, les Macédoniens, les Romains. Le tumulte
extérieur, le cliquetis des grandes évolutions historiques, comparativement
de peu de sens, auraient été superflus, auraient pu distraire les forces
spirituelles et physiques du peuple saint pour une œuvre extérieure,
inférieure, Dieu ayant conçu pour lui quelque chose de mieux : sa participation
active à l'édification du Royaume divin, Royaume de tous les siècles,
qui n'aura pas de fin et devant le choix duquel la gloire orgueilleuse
d'Alexandre, de César et des Romains, apparaît comme une banalité de pacotille
et une méprisable mesquinerie.
Quelques courants sont particulièrement importants dans l'histoire d'Israël
: importante est premièrement la préparation extérieure à l'accueil du
Fils de Dieu, quoique cette œuvre soit relativement passive, externe,
et qu'à proprement parier, elle aurait pu être accomplie presque de la
même façon par n'importe quel autre peuple richement doué. Nous parlons
ici de la création du Tabernacle, et ensuite du Temple, du service de
Dieu et de tout le rituel extérieur de la vie.
Mais à ce courant est étroitement et organiquement lié un autre courant
d'importance dans la vie du Peuple élu : sa préparation morale à l'arrivée
en son sein du Fils de Dieu. Le terrain doit être préparé pour cette rencontre.
Pour recevoir la plénitude de la Vérité divine, il fallait se préparer
à la réception et l'assimilation pédagogiques de la Loi préparatoire de
Dieu, d'un cœur circoncis, avec des oreilles débouchées.
Ceci est particulièrement clair dans l'exemple du plus grand des commandements
: l'amour envers les ennemis.
Pour le coeur humain pécheur, sûr de lui, résultat d'un long processus
de vie pécheresse depuis la chute d'Adam, à travers le meurtre de Caïn
et nombreux autres meurtres, la vengeance contre l'ennemi, et non l'amour,
était devenue naturelle. Une vengeance ne connaissant ni limites, ni assouvissement.
Si l'on me casse une dent, je casserai toute la figure de celui qui m'aura
fait cela. Si quelqu'un me prive d'un œil, je le brûlerai à petit
feu, le couperai en petits morceaux et me rassasierai de ses souffrances.
Par l'exemple récent de la dernière guerre, lorsque les hommes, rejetant
le Christ, se vengeaient en tuant des dizaines, des centaines et parfois
des milliers de ceux qu'ils soupçonnaient du meurtre d'un camarade, nous
pouvons reconnaître combien est insatiable la vengeance humaine.
Dire sans préparation à un homme habitué à une vengeance débridée : "aime
tes ennemis , fais le bien à ceux qui te haïssent " serait d'une
désespérante irréalité, des paroles jetées au vent. Ayant créé la réalité,
créant toujours et seulement des choses réelles, Celui qui Est, c'est-à-dire
notre Seigneur, authentique ment, réellement existant, est en tout réaliste.
C'est pourquoi, avant de dire "aime tes ennemis*, il était
nécessaire d'y préparer le cœur humain, limité par l'esprit de vengeance.
Et Moïse inscrit, selon la parole du Seigneur : "œil pour
œil, dent pour dent ".
Une telle formulation, même l'homme non préparé peut l'accepter comme
limite à son besoin insatiable et déréglé de vengeance, car cette règle
s'appuie sur le sentiment de justice naturellement inhérent au cœur
de chaque homme, conservé des temps d'avant la chute dans le péché. Et
si l'homme accepte une limite à sa vengeance, il le fera vraiment, et
par raison et par volonté, l'accomplissant dans la vie de telle sorte
qu'entrera dans son être même cette loi : pour une dent cassée je ne peux
défîgurer un homme entièrement, mais ne puis que lui rendre ce qu'il m'a
fait, et pour un œil perdu, seulement un œil et non une toiture
sans freins. Alors, m'étant habitué à juguler ma colère, je serai prêt
aussi à recevoir la loi divine de l'amour, je pourrai apprendre à aimer
mes ennemis.
Et de même avec toute la loi morale de l'Ancien Testament : elle préparait
le cœur de l'homme à devenir apte à recevoir la loi du Christ.
Ainsi cette préparation s'accomplissait au sein du Peuple élu, qui jouait
dans cette œuvre le rôle du choix le meilleur dans l'humanité et
de son représentant. Si cette œuvre réussit par rapport au peuple
juif, elle réussira dans toute l'humanité, car toutes les propriétés de
l'homme se sont concentrées dans ce peuple, que la Parole de Dieu désigne
de préférence comme "hommes", dans une plus grande mesure "hommes"
que le reste des humains. Ce n'est pas vainement que l'Un d'eux, dans
ce peuple, s'appelle "Fils de l'homme ".
Le courant le plus saint dans ce peuple, dans toute l'humanité et dans
toute la création de Dieu, était ceiui, totalement caché par Dieu à tout
regard importun, dans lequel, par la grâce de Dieu, s'accomplissait de
génération en génération la purification de l'être humain lui-même, pour
le rendre apte à accueillir le Fils de Dieu.
Abraham était saint d'une grande sainteté mais, au même rang que les élans
spirituels, nous voyons aussi en lui des gouffres de perdition en Egypte
et chez Abimélec. Le Fils de Dieu ne pouvait venir à lui directement,
ni s'unir à lui d'une union totalement véridique. Mais sa sainteté ne
reste pas infructueuse. Il participe par l'esprit et la chair au dessein
de Dieu, car de sa semence naquit le Dieu-Homme. Nous disons cela aussi
d'Isaac, de Jacob, de Jude, de David, de tous les ancêtres du Christ qui
furent spirituellement et charnellement Ses ancêtres. On peut dire cela
de tous les justes de l'Ancien Testament, parce qu'ils participaient directement
à l'installation de cette atmosphère morale créée par Dieu, dans laquelle
seulement pouvait apparaître la plus belle fleur de l'humanité, capable
de recevoir en elle le Fils de Dieu.
Le cur frémit quand on y pense, quand on réfléchit à cela, à comment,
dans la paix d'une province de Palestine, préservée par Dieu du vacarme
des voies historiques, mûrissait le fruit le plus parfait des meilleurs
courants de l'humanité, sans lequel le Seigneur ne pouvait venir chez
les hommes, mûrissait la Très sainte Vierge, du nom de Mariam.
Israël accomplit honorablement et dignement la première moitié du Plan
de Dieu. Il préserva la foi véritable au milieu des ténèbres païennes,
tout au long de plusieurs siècles. Il érigea le Temple de Dieu, modèle
de tous les temples dans tous les temps. Ses prophètes préparèrent le
terrain pour l'Avènement du Christ Ils "préparèrent les voies
du Seigneur, ils rendirent droits Ses sentiers ". En son sein
grandirent la Très sainte Vierge et saint Jean, dont la bouche divine
dit : "de ceux qui sont nés de la femme, aucun ne fia plus
grand que Jean le Baptiste ".
Rien ne peut être retiré
à Israël de cette immense gloire, de cette surnaturelle grandeur de son
destin. Même ce qui a suivi ne peut anéantir la dette de reconnaissance
dont toute l'humanité lui est redevable. Et encore, ce pourquoi cette
dette de reconnaissance ne peut être effacée c'est qu'ayant pris sur lui
une grande gloire, mais aussi le terrible poids du choix de Dieu, Israël
a porté ce joug difficile pour les autres peuples. Nous, russes, savons
dans une faible mesure le poids de ce fardeau. Notre "prophète"
dit :
" N'oublie
pas qu'il est dur
Aux terrestres créatures
D'être l'arme de Dieu.
Pour Ses serviteurs
Il est Juge impérieux,
Et sur toi, malheur !
Tant d'horribles péchés
Se sont déposés."
(Khomiakov)
Et tout autre peuple n'aurait pu
porter ce faix comme l'a porté Israël. Il se serait courbé sous son poids
et serait tombé beaucoup plus tôt. Ce que l'Eglise nous enseigne sur Adam
et Eve : que, tout en désapprouvant leur trahison envers Dieu, nous ne
sommes pas en droit de les juger car à leur place nous en aurions fait
autant, on peut le redire, dans une mesure plus grande encore à propos
d'Israël : si, ayant accompli la première moitié du plan de Dieu en lui,
il a trahi la seconde moitié le concernant, chaque peuple, à sa place,
se serait montré encore pire, encore plus indigne du choix de Dieu.
La chute d'Israël est une
tragédie non seulement pour lui-même mais aussi pour l'humanité entière,
car il a été choisi, il est le représentant de tout le genre humain ;
et son accomplissement de la première moitié du Plan de Dieu, la préparation
à l'Avènement du Christ constitue non seulement pour lui mais aussi pour
toute l'humanité, une gloire indérobable et impérissable.
II
Et au jugement chez Pilate, et
aux questions des Pharisiens qui l'interrogeaient, le Christ disait que
Son Royaume n'était pas terrestre :Mon Royaume n'est pas de ce monde;
Le Royaume de Dieu est à l'intérieur de vous -Mais à ceux qui ont
accueilli Son Royaume, le Seigneur accorde aussi en supplément, comme
instrument pour servir ce Royaume, une gloire extérieure, terrestre, selon
la Loi qu'il avait exprimée : Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et
Sa vérité, et tout cela sera donné de surcroit.
Pour que l'annonce de l'Evangile puisse s'accomplir sans entraves,
le Seigneur donna au peuple romain la possibilité de créer un état mondial.
Pour que cette annonce puisse se propager par la suite dans tout l'univers,
le Seigneur donna justement aux peuples chrétiens des forces politiques
et des connaissances gigantesques, encore jamais vues.
Bien sûr, si le peuple juif élu avait accompli le plan que Dieu avait
pour lui; si dans sa totalité, ou tout au moins dans sa partie fondamentale,
dirigeante, représentative, il avait suivi le Christ, avait bien voulu
s'unir au Royaume intérieur de Dieu, sans aucun doute c'est lui qui aurait
reçu aussi en complément un royaume terrestre très glorieux et très puissant.
Sachant avec quelle flamme, quelle abnégation les sauvages peuplades celtes,
germaniques et slaves accueillaient la foi chrétienne, nous pouvons bien
imaginer de quel admiration, respect et service ils auraient entouré le
premier des peuples en Christ - le peuple des parents du Seigneur par
la chair. Le respect manifesté par les peuples chrétiens à l'égard de
Rome et de Byzance peut nous en donner une petite idée.
Le plan de Dieu pour l'humanité était bien sûr celui-là, la partie qui
avait été préparée à recevoir le Fils de Dieu devait être projetée dans
le monde comme levain dans la pâte. Par ce riche levain tout le genre
humain aurait mûri pour le Royaume de Dieu et le peuple élu aurait marché
devant tous les autres peuples, les précédant tous sur le chemin de l'union
à Dieu, comme avant-garde de l'Eglise du Christ.
Son Temple - le Temple de Jérusalem -, autel de toute la terre, serait
devenu le premier temple chrétien dans lequel, à la place de l'ombre de
l'Ancien Testament, sacrifice sanglant, le Christ lui-même aurait apporté
le sacrifice néo-testamentaire de Son Corps et de Son Sang . Et là, absorbant
totalement en lui-même tous les éléments de l'Ancien Testament au service
préparatoire de Dieu, en aurait été élaborée la Liturgie du Nouveau Testament.
Tout le peuple juif, qui connait comme nul autre la diversité des âmes
humaines, serait allé à l'exploit missionnaire de l'annonce de l'Evangile
à la partie non encore préparée de l'humanité. A cette tâche auraient
pris part aussi, chacun selon le talent que le Seigneur lui a donné, les
autres peuples et tous se seraient unis au Royaume de Dieu.
Ce plan divin a été enfreint par la trahison d'Israël. Bien qu'une fraction,
la partie la plus sainte d'Israël et de l'humanité, soit allée au Christ
- les Apôtres étaient tous juifs et n'auraient pu appartenir à un autre
peuple, parce que les autres peuples n'y étaient pas préparés - mais la
base fondamentale, plus particulièrement dirigeante, qui représentait
ce peuple, une de ses parties - les prêtres, les gouvernants officiels,
les rabbins pharisiens - les dirigeants de fait, n'ont pas suivi le Christ
mais l'ont crucifié par les mains des soldats romains, criant : Que
Son Sang retombe sur nous et sur nos enfants.
Seule la première chute de l'homme, la chute dans le péché d'Adam et Eve
peut servir de comparaison par sa gravité et son sens profond à cette
terrible catastrophe qui a faussé le plan de Dieu, le projet de Dieu sur
l'histoire future de l'humanité rachetée et sauvée par le Christ.
Israël est rejeté - plus justement c'est lui-même, l'élu de Dieu, qui
a rejeté ce choix, a refusé de servir Celui qui l'a choisi pour accomplir
Ses desseins.
Il y eut des milliers de raisons; toutes les tentations et les mauvais
désirs -des plus bas, comme la satisfaction de la chair, aux plus élevés,
comme les orgueilleuses pensées concernant la création sur terre d'un
état israélien mondial dont parlent les prophètes - tout cela fut réuni,
mobilisé par satan pour arracher Israël à sa voie : être l'instrument
choisi du salut de toute l'humanité.
Arrêtons-nous une minute sur le plus important, sur la tentation la plus
profonde et significative, sur celle du royaume terrestre d'Israël qui
fut réfléchie par les meilleurs penseurs juifs, en accord avec l'image
esquissée par les prophètes, comme celle du royaume dans lequel les glaives
seraient forgés en socs, et dans lequel s'apaiseraient toutes les tribus
de la terre.
Ici s'est répétée dans une mesure significative l'histoire de la tentation
des premiers hommes. Le Seigneur a créé les hommes pour la déification.
Les ayant créés à Son Image et à Sa ressemblance, Il leur a donné la mission
de parvenir de plus en plus à Sa ressemblance, devenir de plus en plus
des dieux ainsi que dit le Seigneur : Vous êtes des dieux et vous êtes
des fils du Très-Haut, et ainsi que l'enseigne Basile le Grand : Je
suis créature, mais j'ai reçu le devoir de devenir dieu.
Et le diable, trompant les hommes contre le Créateur, leur dit : mangez
du fruit et vous serez comme des dieux .
Le diable fait de même avec Israël. Le Seigneur, prédestinant Israël
à être l'instrument de l'édification du Royaume spirituel de Dieu, lui
aurait bien sûr donné comme complément (ainsi que nous l'avons montré)
le royaume terrestre. Mais les chefs d'Israël se sont dirigés vers le
royaume terrestre et se sont détachés de leur sort le plus élevé, celui
d'avoir été choisis.
Nous disons qu'ainsi ils ont transgressé le plan de Dieu. Mais sans doute
en partie seulement.
Un homme en particulier et tout un peuple peuvent enfreindre le dessein
de Dieu pour eux-mêmes. Le destin intérieur de l'homme et du peuple est
confié par Dieu à leur libre arbitre. Mais nul ne peut y contrevenir dans
sa totalité. La Sagesse et la puissance de Dieu corrigent sans cesse les
transgressions de Son Flan, amenées par la force du diable et la volonté
qui s'égare des hommes. Et toutes les puissances angéliques et tous les
Justes de Dieu s'émerveillent continuellement de cette puissance et de
cette Sagesse de Dieu, qui sans discontinuer peut tout corriger dans le
monde créé par Lui; et pour cela ils glorifient sans cesse le Seigneur
ainsi qu'en témoigne Jean le visionnaire des Mystères.
L'oeuvre du salut des hommes
doit s'accomplir. Et Israël doit la diriger. Mais Israël l'a rejetée.
Que faire alors ?
Le Christ a averti les dirigeants
d'Israël qu'ils n'arrêteront pas par leur désobéissance les desseins de
Dieu : Dieu peut de ces pierres susciter des enfants à Abraham.
De ces pierres, des nations
et des peuples aussi peu préparés que des pierres à l'accueil du Christ,
le Seigneur érige le nouvel Israël; les peuples chrétiens qui deviennent
par l'esprit enfants d'Abraham parce qu'ils prennent sur eux tout son
héritage - l'oeuvre d'Israël - choix de Dieu, commandement dans l'oeuvre
du salut de l'humanité.
Le Seigneur a donné à ces
peuples, richement et généreusement, les forces et l'intelligence indispensables
pour cette oeuvre immense, les mêmes forces qu'il aurait données à Israël
s'il avait gardé sa place ... Et ces peuples chrétiens, prenant la place
d'Israël, ont conduit le monde vers le Christ et vers le salut.
Toutefois si Israël, par
toute son histoire antérieure était préparé à devenir le guide des peuples
dans l'oeuvre de leur salut, et si la rudesse païenne était extirpée hors
de lui ou en tout état de cause devait en être extirpée, ces peuples nouveaux,
oliviers sauvages, sont arrivés vers l'Eglise non préparés par l'histoire;
ils se greffaient à elle venant d'une racine sauvage et non travaillée
et le processus de leur préparation devait être long et compliqué. Et
nous voyons combien en effet la christianisation de ces peuples nécessite
d'immenses efforts et de multiples exploits, combien de temps persistent
en eux des traces très significatives de rudesse païenne, de lourdeur
d'esprit, de médiocrité.
Israël entre en lutte contre
ces peuples. Répétant l'histoire de l'esprit déchu ancien qui haïssait
le genre humain avant tout parce que ces hommes méprisables, faibles,
insignifiants, revêtus de chair et de sang putrescibles sont appelés par
l'Amour de Dieu à sa place, la place d'un esprit orgueilleux et puissant.
L'antique Israël de même hait démesurément les rudes peuples païens appelés
par Dieu à le remplacer à la tête des tribus terrestres.
Israël commencera la lutte.
Cette lutte est très inégale. Le monde appartient aux peuples chrétiens
et païens. Israël, ayant trahi Dieu, s'est privé de tout ce que Dieu lui
avait donné pour l'accomplissement de Son dessein, sauf des dons de Dieu
intérieurs, inaliénables, sa force spirituelle naturelle.
C'est pourquoi la force d'Israël,
les moyens de sa lutte ne peuvent être que des moyens secrets, intérieurs.
Dans cette lutte lui est très utile sa profonde connaissance de la nature
humaine qui lui fut donnée pour annoncer l'Evangile mais qu'il utilise
contre l'Evangile.
Ayant trahi le Christ par
suite de tentations d'orgueil, de cupidité et de satisfactions charnelles,
Israël se hâte de tenter de la même façon les peuples qui l'ont remplacé.
Par sa haine des peuples chrétiens il s'assimile à l'esprit déchu car
sa tragédie est semblable à celle du démon, la tragédie de ce dernier
étant qu'il est un ange déchu; la tragédie d'Israël - qu'il est le peuple
ayant trahi Dieu Qui l'avait élu.
L'attitude de l'Eglise chrétienne
envers Israël tombé est tout à fait double. D'un côté elle témoigne clairement
et nettement que le judaïsme n'a aucun droit dans le Nouveau Testament
au nom d'Israël, qu'elle est devenue le nouvel Israël
- Fiancée choisie du Christ, que
justement à elle et non au judaïsme appartient la plénitude de la promesse
et des dons de Dieu promis aux fils d'Abraham, car Abraham,
Isaac et Jacob et tous les justes de l'Ancien Testament appartiennent
à l'Eglise et y sont entrés en tant que partie composante. Et avec cela
l'Eglise souligne sa séparation d'avec le judaïsme dans sa vie et dans
toute relation, tant que le judaïsme ne se sera pas repenti et ne sera
pas tombé à ses pieds.
Mais d'un autre côté, les
meilleurs représentants de l'Eglise se comportent avec la plus profonde
compassion, la compréhension la plus fine devant le destin tragique de
l'Israël de l'Ancien Testament. Souvenons-nous des lignes de l'Apôtre
Paul pleines d'un amour infini envers son peuple égaré. Nous trouvons
des lignes équivalentes chez Basile le Grand, hellène par origine mais
qui aimait chaleureusement l'Israël de l'Ancien Testament, ne pouvant
se souvenir d'Abraham sans pleurer, et qui a guéri par son amour de nombreuses
âmes juives en les amenant au Christ. Et nous trouvons aussi des lignes
semblables chez Jean Chrysostome et d'autres Saints Pères.
Mais comme nous l'avons déjà
dit, dans les couches chrétiennes profondes, plus exactement les peuples
christianisés, il restait encore beaucoup de rudesse païenne incapable
de cet amour chrétien qui régénère. C'est pour cela que l'ancien Israël,
au milieu des nations chrétiennes, buvait l'humiliation à pleines coupes.
Et dans une pleine mesure
s'est réalisée la parole menaçante à son égard du Seigneur : Si tu
n'accomplis pas toutes les paroles de la Loi et si tu ne crains pas le
Nom du Seigneur ton Dieu, le Seigneur te frappera, toi et ta descendance,
de plaies extraordinaires. Et il n'en restera que peu d'entre vous alors
que vous étiez aussi nombreux que les étoiles du ciel. Alors, de même
que le Seigneur mettait Sa joie à vous faire du bien et à vous multiplier,
de même II mettra Sa joie à vous faire périr et vous serez arrachés de
dessus le sol vers lequel tu vas pour le posséder. Et le Seigneur te dispersera
parmi tous les peuples d'une extrémité de la terre à l'extrémité de la
terre. Mais parmi ces nations tu ne trouveras pas de tranquillité et il
n'y aura aucun lieu où reposer ton pied. Là, le Seigneur te donnera un
coeur tremblant, des yeux consumés et une âme épuisée. Ta vie sera suspendue
à un cheveu devant toi et tu trembleras nuit et jour et tu n'auras pas
de certitude en ta vie. Et par l'effroi de ton coeur dont tu seras envahi
et par le spectacle que verront tes yeux, tu diras le matin, "si
seulement le soir arrivait", et le soir tu diras, "si seulement
arrivait le matin". Et vous vous vendrez commes esclaves - hommes
et femmes - à vos ennemis et il n'y en aura vas un qui se repose (Peut.
28,58-68).
Ils durent se cacher et ramper
pendant des millénaires, baisant la main de leur maître, se faire flatteurs
et serviles devant les rudes européens moyenâgeux chez lesquels était
resté tant de sauvage et primitif paganisme non régénéré par le christianisme.
Ce "juif" médiéval
à l'âme affinée, choisi par Dieu pour un destin supérieur, pour le commandement
de toute l'humanité, méprisait évidemment de la façon la plus profonde
le grossier baron ou le seigneur qui le bafouait.
Nous Russes, dans notre exil
actuel, pouvons comprendre dans une petite mesure cette tragédie plusieurs
fois séculaire des juifs. Comme le juif du Moyen
Âge méprisait le seigneur qu'il servait, un "Rurukoïde" ou un
"Guedeminovitch" servant comme chauffeur ou valet chez un Argentin
ou un Brésilien méprise son maître, pour peu que notre aristocrate actuel
ne se défende contre cet état d'esprit nuisible à l'âme et destructeur,
grâce à l'humilité chrétienne qui hélas, même parmi nous, est catastrophiquement
rare.
Et malgré leur humiliation,
ces "juifs" du moyen âge se souvenaient bien du fait qu'ils
avaient été élus et gardaient précieusement les témoignages de leur provenance
de David ou d'Aaron (...)