Un exemple admirable de loyauté envers St Nicolas

Au printemps 1707 le tsar Pierre Alexeievitch fit un voyage à Moscou au cours duquel il confia au prince Féodor Iourevitch Romodanovsky la tâche de mettre en ordre les affaires de prison.
Romodanovsky se mit donc à inspecter les geôles et prisons de Moscou. Arrivé dans un bagne, accompagné du geôlier et des gardiens, il passa en revue ses corridors, s'arrêtant à chaque cellule et posant des questions sur leurs occupants.
Soudain, l'un des bagnards lui dit :
-  Prince ! Nous savons que tu es un homme pieux et que tu crains Dieu; tu respectes la mémoire des Saints, en particulier celle de notre Saint Nicolas le Thaumaturge. Eh bien voilà, justement, pour l'amour de lui qui était charitable, fais-nous une grâce généreuse, laisse-moi partir chez moi, seulement pour deux jours.
- Quoi ?!, s'étonna Romodanovsky. Mais as-tu toute ta tête pour oser demander une telle chose ?
- J'ai toute ma tête et ma mémoire est bonne, continuait le bagnard. Je te dirai seulement qu'à mon village, on vénère beaucoup la fête du Nicolas d'été et que dans notre église, un autel lui est consacré. En plus, je m'ennuie après ma jeune femme et mes petits enfants. Je voudrais les embrasser et les serrer dans mes bras. Laisse-moi y aller ...
- Quel est cet homme ? demanda le prince.
- L'assassin d'un soldat du tsar, lui répondit l'autre.
- Quel soldat ?
- Un soldat du régiment Préobrajensky, précisa le geôlier. Il est vrai qu'il a commis son crime dans l'emportement...
Le bagnard pendant ce temps, lui, continuait :
- Prince charitable ! C'est vrai, je suis un grand criminel. Je m'en repens devant les hommes et devant Dieu. Mais quand même, j'aimerais bien passer quelque temps chez moi. Je demande seulement deux jours, et sois sûr que le troisième jour je reviendrai moi-même ici.
Le discours si brave du bagnard plût au prince et il lui demanda :
- Mais qui va se porter garant de toi ?
- Saint Nicolas le Thaumaturge, répondit le prisonnier. Lui, qui a trouvé grâce auprès de Dieu, sera mon garant au cas où je serais tenté.
A ce moment-là, Romodanovsky regarda le prisonnier droit dans les yeux et quelque chose d'attendri et de bon remua dans son âme.
- Otez-lui les fers et laissez-le sortir pour deux jours, ordonna-t-il après avoir fait un geste de la main en direction du bagnard.
- Votre Grâce, prononça le geôlier, je me permets de vous dire ... il va vous tromper. Il n'a besoin que d'un moyen de sortir et une fois là-bas, va essayer de le retrouver ! C'est que pour ces bagnards, il n'y a rien de sacré sur cette terre. Ce sont des beaux parieurs de première.
Romodanovsky se mit à réfléchir ...
- Effectivement, pensait-il, à peine sera-t-il sorti du bagne, où le chercher ensuite ! Peut-être ce n'est pas du tout chez lui qu'il veut aller mais tout simplement prendre la poudre d'escampette... Ah, je me suis emballé outre mesure et mon ordre était irréfléchi. Du reste, ce qui est dit est dit, car les Romodanovsky ne reviennent pas sur leur parole.
A ce moment-là, le prince regarda une fois de plus le visage ouvert du bagnard et répéta:
- Laissez-le sortir pour deux jours ! Je suis sûr qu'il reviendra au jour convenu. Le Saint garant ne permettra pas de supercherie.
Le bagnard se jeta aux pieds du bon prince, tandis que le geôlier, sombre et maussade, donnait l'ordre à la garde d'ôter les fers au criminel.

•••

Au village de Nikolskoïe, à vingt verstes de Moscou, la fête du 9 Mai bat son plein. A la fin de la célébration liturgique, la foule s'est précipitée sur la place du marché. Là, la foire s'est déjà installée, formant un tableau haut en couleurs. Dans la foule, heureux et content, avance notre prisonnier provisoirement libéré. Il tient dans ses bras un joli enfant qui serre très fort de ses petits bras potelés le cou de son papa. A ses côtés marche une jeune femme de belle allure qui tient par la main un garçonnet à l'air vif.
- Mon pauvre cher mari, dit la femme, ne nous laisse pas orphelins. Regarde comme on est bien et comme on se sent libre ici. Et là-bas... la prison ... la captivité ... C'est vrai que tu as tué un soldat du tsar, mais si tu l'as fait, c'est sans mauvaise intention, par mégarde, sans le faire exprès. Pourquoi aller souffrir dans une étemelle réclusion et détruire une malheureuse famille !...
- Il ne faut pas, ma bonne amie ! répond le détenu. J'ai promis ...
-  Quelle importance peut bien avoir ce que tu as promis dans ta captivité, continuait sa femme; si tu ne reviens pas, personne ne pourra rien y faire. Nous nous enfuirons sans tarder, nous partirons sur le Don libre. Là nous commencerons une nouvelle vie de liberté. Nos fils deviendront de vaillants Cosaques et se mettront au service du tsar notre petit père pour effacer ta faute.
Et le détenu se mit à réfléchir aux paroles séduisantes de sa femme.
-  Partir sur le Don ... recommencer une vie sans contrainte ... Mais est-ce bien ça ? Est-ce que ce sera réellement bien là-bas ? Et ma conscience ? ... Ce Saint garant ? Qu'est-ce que je vais faire une fois que j'aurai profané sa sainte mémoire ? Je perdrai tout. Je n'aurai ni réussite, ni joie ni bonheur. Je me dessécherai et disparaîtrai, pis qu'un esclave. Ce n'est pas sans raison que le prince a dit : " Le saint garant ne permettra pas de supercherie."
Puis de nouveau les discours séduisants de sa bien-aimée firent hésiter le pauvre homme et déjà approchait le moment où la ferme résolution de fuir avec sa famille allait l'emporter. Mais ... là, au fond de son âme, quelque chose de souverainement puissant l'arrêta, aiguillonnant sa raison vers la vérité et, n'écoutant plus qu'elle, le détenu dit :
- Non, saint Nicolas ne le permettra pas ! Je dois agir selon ma conscience et la vérité.
Et le jour suivant, faisant ses adieux à sa famille, il leur dit :
-  Bien qu'il me soit difficile de me séparer de vous, je sens pourtant que ma conscience est nette. Je crois que mon garant me sauvera des malheurs et adversités futures.

***

Deux jours plus tard déjà, il était de nouveau à Moscou et il se présenta à la prison une heure avant que n'y arrive Romodanovsky.
- Je passai près de la prison, expliqua le prince au geôlier venu à sa rencontre, lorsque je me suis souvenu de ce bagnard qui avait invoqué comme garant Saint Nicolas. Le délai fixé pour son absence est fini, est-il revenu ?
- Oui, Votre Honneur, répondit le geôlier. C'est un exemple admirable. Il est revenu au terme fixé et se trouve de nouveau en prison.
- C'est digne d'éloge ! s'écria le prince. Aujourd'hui même je vois le tsar et je lui raconterai ce cas hors du commun.
Le jour suivant dans le bagne se répandit la nouvelle inattendue qu'un envoyé du tsar était venu et avait emmené le détenu au palais. Et quand celui-ci fut de retour, tous avec impatience lui demandèrent ce que lui avait dit notre petit père le tsar.
-  Notre Souverain, répondit le prisonnier, a souhaité lui-même connaître la raison pour laquelle je suis détenu. Ensuite, après avoir charitablement écouté ma confession, il a déclaré qu'il réduisait ma peine au minimum.
A cet instant, le détenu fit un signe de croix et ajouta avec feu :
- Gloire à Nicolas le Thaumaturge qui dans les minutes difficiles m'a aidé à combattre la tentation !
Et peu de temps après, le détenu fut libéré.

Iv. Babanine Un récit du journal Russky Palomnik, n°33, 18 août 1907.

traduit du russe par X. S. Dorochine extrait de "Fleurs paradisiaques de la terre russe ".

 

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