Les Premiers Martyrs Chinois Orthodoxes

Semen sanguis Christianorum

Tertullien  

Un massacre semblable à la nuit de la St Barthélemy eut lieu en Chine au tournant de ce siècle. Ses victimes en furent les Chinois orthodoxes, qui se révélèrent de radieux confesseurs de Jésus-Christ et moururent pour Lui en martyrs. Il survint pendant la rébellion des Boxers en 1900 (1). Deux personnes furent témoins oculaires de ces atrocités : l'Archimandrite (plus tard Métropolite) Innocent, chef de la Mission Ecclésiastique Orthodoxe de Pékin, et l'Archimandrite Abraham, qui écrivirent une émouvante relation et un panégyrique de la dormition de quelques uns des martyrs. L'Archimandrite Innocent décrit les atrocités horribles de la manière suivante:

« C’est le 11/24 juin (ancien et nouveau calendrier) 1900 que furent martyrisés à Pékin la plupart des Chinois orthodoxes. La veille, des proclamations avaient été affichées le long des rues, appelant les païens à massacrer les Chrétiens, et menaçant quiconque oserait leur donner refuge. Dans la nuit du 11 au 12 juin, les Boxers  attaquèrent les maisons chrétiennes avec des torches enflammées dans tous les quartiers de Pékin, mettant la main sur les infortunés Chrétiens, les torturant pour les forcer à renier le Christ. Terrifiés à l'idée d'être torturés et de mourir, beaucoup renièrent l'Orthodoxie pour sauver leur vie, et brûlèrent de l'encens devant les idoles. Mais d'autres, courageusement, confessèrent le Christ sans crainte des tourments. Leur destin fut terrible. Les païens les éventrèrent, les décapitèrent, les brûlèrent vivants dans leurs maisons. La chasse et le massacre des Chrétiens continuèrent pendant les jours suivant l'insurrection. Après la destruction des maisons chrétiennes, il furent traînés hors des portes de la cité jusqu'aux temples païens des Boxers, où ils furent interrogés et immolés par le feu.

Selon des témoins oculaires païens, plusieurs parmi les Chrétiens orthodoxes allèrent à la mort avec une étonnante abnégation de soi. Pavel Wan, un catéchiste orthodoxe, mourut la prière sur les lèvres. Ia Wen, une professeur à l'école missionnaire, fut torturée par deux fois. La première fois, les Boxers la taillèrent sans merci en morceaux et la jetèrent au sol à moitié morte. Lorsqu'elle revint à elle, un des gardes païens entendant ses gémissement la traîna jusqu'à sa cabane. Mais peu de temps ensuite les Boxers lui remirent la main dessus et cette fois-ci la torturèrent à mort. Les deux fois Ia Wen confessa joyeusement le Christ devant ses bourreaux. »

Parmi les martyrs et confesseurs chinois du Christ, le prêtre Mitrophane Tsi-Chung et sa famille s’illustrèrent particulièrement. Le prêtre Mitrophane était né le 10/23 décembre 1855. Ayant perdu son père tôt dans son enfance, il fut élevé par les soins de sa grand-mère, Ekaterina, ainsi que sa mère, Marina, institutrice dans une école de filles. Il ressentit alors beaucoup de chagrin. Lorsque l'Archimandrite Pallady fut à la tête de la Mission pour la seconde fois, il demanda à son professeur, Luang Yuan, d'enseigner Mitrophane avec une attention particulière, pour le préparer à recevoir l'ordination à la prêtrise à la fin de ses cours. Avant qu'il eût atteint l'âge de vingt ans, il fut nommé à la position de catéchiste. Mitrophane était un être attaché à la paix et la tranquillité; même lorsqu'il était gravement offensé, il ne cherchait jamais à se justifier. Le successeur de l'Archimandrite Pallady fut l'Archimandrite Flavien qui plus tard devint Métropolite de Kiev.

Dès son arrivée à Pékin, l'Archimandrite Pallady le chargea, comme il l'avait fait avec le professeur Luang Yuan, d'aider Mitrophane à accomplir sa destinée de prêtre. Mitrophane ne voulut point de lui-même le rang de prêtre et continua à refuser, disant: "Comment un homme de petite aptitude et d’une si faible vertu oserait-il s’élever à un si haut rang ? ". Mais, contraint par l'Archimandrite Flavien et persuadé par son instructeur, il accepta, tout en sachant qu'après avoir accepté la prêtrise, son lot ne serait pas doux. Et donc, à l'âge de vingt-cinq ans, il fut ordonné prêtre par l'Evêque Nicolas (Kassatkin) du Japon (2).  Sous le ministère de l'Archimandrite Flavien, Père Mitrophane aida à la traduction et à la correction des livres liturgiques. Pendant une période de quinze années, il servit Dieu sans relâche, endurant de nombreux préjudices et mauvais traitements de la part de son propre troupeau et des autres gens, au point d’en divaguer parfois quelque peu .

Par la suite, il vécut pendant plus de trois années en-dehors de la Mission, recevant la moitié de son salaire d'origine. Pendant cette vie comme prêtre, Père Mitrophane ne fut pas avare et beaucoup profitèrent de lui à cette occasion

Dans la soirée du 1/14 Juin 1900, les Boxers brûlèrent les bâtiments de la Mission; beaucoup de Chrétiens, pour se dérober aux périls auxquels ils étaient confrontés, se regroupèrent dans la maison du Père Mitrophane. Parmi eux se trouvaient plusieurs de ceux qui avaient été auparavant mal disposés envers le prêtre, et cependant il ne les refusa pas. Devinant que certains avaient le coeur pusillanime, il les encouragea, leur disant que le temps des tribulations était arrivé et qu'il serait difficile d'y échapper.     Plusieurs fois par jour, il sortit pour regarder l'église brûler. À dix heure du soir, le 10/23 Juin, des soldats et des Boxers entourèrent la résidence du Père Mitrophane. À ce moment-là, il se trouvait plus soixante-dix Chrétiens à l'intérieur; la plupart s'enfuirent, tandis que Père Mitrophane et beaucoup d'autres, principalement des femmes et des enfants, restèrent et furent massacrés. Père Mitrophane s'assit dans le jardin devant sa maison, et les Boxers le poignardèrent à plusieurs reprise dans la poitrine, jusqu'à ce qu'il soit criblé de trous comme un nid d'abeille; il s'écroula derrière un dattier. Ses voisins traînèrent son corps jusqu'à l'endroit où s'était élevé la maison de retraite pour les vieillards. Plus tard, le Hiéromoine Abraham récupéra son corps et, en 1903, lorsque l'on célébra pour la première fois une fête en l'honneur des martyrs, il fut enterré sous l'autel de l'église des martyrs, à côté des restes des autres. La femme de Père Mitrophane, Tatiana, et ses trois fils assistèrent à l'assassinat. Le deuxième fils, Serge, devint plus tard archiprêtre, les deux autres, Isaac et Jean, furent assassinés.

Tatiana avait quarante-deux ans. Au soir du 10/23 juin elle parvint à s'échapper des Boxers avec l'aide de la fiancée de son fils Isaac, mais le matin suivant elle fut saisie avec dix-huit autres personnes, emmenée à l'extérieur de la porte Andinmin jusqu'au camp des Boxers à Hsiao-in-Fang, et alors décapitée. Isaac avait vingt-trois ans et servait dans l'artillerie. Les Boxers l'exécutèrent par décapitation le 7/20 juin, car il était Chrétien, de notoriété publique.

Jean n'avait que sept ans. Dans la soirée du 10/23 juin, lorsqu'ils tuèrent Père Mitrophane, les Boxers disjoignirent ses bras à la hauteur des épaules puis lui coupèrent les orteils, le nez et les oreilles. La fiancée d'Isaac réussit à sauver la vie de Jean. Le matin suivant, il était assis dévêtu et nu-pieds devant le portail, et comme on lui demandait s'il avait de la peine, le garçon répliqua avec un sourire qu'il n'était pas dur de souffrir pour le Christ.  Les gamins des rues se moquèrent de lui, l'appelant un “disciple du diable” mais il rétorqua : « Je crois en Dieu et ne suis pas un disciple des démons ». Jean demanda de l'eau aux voisins, mais non seulement ils refusèrent mais le chassèrent au loin. Protasy Chan et Rodion Hsiu, qui n'avaient pas encore été baptisés, assurèrent comme témoins avoir vu ce garçon blessé aux épaules et aux pieds, dont les blessures étaient profondes de plusieurs centimètres, ne ressentir cependant aucune douleur. Repris à nouveau par les Boxers, il ne montra aucune peur, allant tranquillement avec eux. Un homme âgé exprima de la sympathie envers le garçon, demanda: « De quoi est coupable cet enfant? C'est de la faute des parents si il devint disciple des démons ». D'autres plaisantèrent et se moquèrent de lui, ou simplement lancèrent des flèches en sa direction. Ainsi était-il véritablement comme l'agneau que l'on amène à l'abattoir. Plus tard, les Boxers prirent de nouveau l'enfant-martyr et le décapitèrent, brûlant ses restes en un feu de joie....”

Maria, la fiancée d'Isaac, avait dix-neuf ans. Deux jours avant le pogrom des Boxers, elle vint à la maison du Père Mitrophane, désirant mourir avec la famille de son aimé. Lorsque les Boxers entourèrent la maison le 10/23 Juin, elle aida courageusement les autres à s'échapper, les poussant à sauter par dessus le mur. Alors, après avoir enfoncé le portail, les soldats et les Boxers pénétrèrent dans la cour, Maria hardiment les accusa d'assassiner les gens illégalement, sans procès ni jugement. Ils n'osèrent pas la tuer, mais la blessèrent seulement aux bras et percèrent ses pieds. En tout elle montra une présence d’esprit et un courage remarquables. Serge, le fils de Père Mitrophane, essaya par trois fois de la persuader de quitter la maison et de se cacher, mais elle répliqua: « Je suis née près de l'église de la Très Sainte Mère de Dieu, et c'est ici que je mourrai ». Les soldats et les Boxers revinrent peu de temps après, et la vaillante femme finit sa vie dans le martyr, considérant la mort comme n'étant pas plus qu'un passage vers le repos béni.

Décrivant leurs morts, l'Archimandrite Abraham ajoute: « Accorde, Seigneur, le repos aux âmes de Tes serviteurs, le prêtre Mitrophane et ceux avec lui, et rend leur mémoire éternelle ».   Et ajoutons à cette prière qu'ils ont trouvé le repos, “celui où reposent les justes”; par leur confession et leur martyre, ils ont été comptés comme justes et ajoutés à leur nombre.

Parmi ceux qui souffrirent pour le Christ se trouvaient des Albaziniens, descendants des fameux habitants d'Albazin qui apportèrent la lumière de la foi Orthodoxe en Christ à Pékin, la capitale de la Chine, en 1685, et qui restèrent fidèles à elle. À cause de leur fidélité à la sainte Orthodoxie, le Seigneur récompensa leur descendants par la gloire de la confession et du martyr. Les Albaziniens Clément Kui Kin, Matthieu Hai Tsuan, son frère Vitus, Anna Chui et beaucoup d'autres, ne craignant pas ceux qui tuent les corps, mais sont incapables de tuer les âmes (Matt.10:28), firent face à la torture et la mort pour le Sauveur du monde sans frayeur, suppliant Dieu d'éclairer leurs persécuteurs et de leur pardonner pour leurs fautes.

Tout ensemble, parmi le millier d'âmes que comportait la Mission, elle en perdit trois cents. Certaines apostasièrent, mais les autres, au nombre de deux cent vingt-deux, furent de lumineux confesseurs et martyrs pour la foi chrétienne.

La Presse de l'Église  le journal officiel du Patriarcat de Constantinople, leur dédia un article spécial, à la conclusion duquel on pouvait lire ces mots:

“Le sang des martyrs a toujours été la semence d'où jaillirent les églises du Christ en terre païenne et à travers laquelle s'est développé la vie chrétienne. Implorons le Seigneur que cette sanglante persécution, dont a été victime la petite branche de l'Orthodoxie chinoise, a servi en premier lieu, comme une source infatigable de foi et de courage pour ceux qui avec ardeur portent la parole de l'Évangile, et en second lieu, comme une base pour les succès futures de la foi et du Royaume de Dieu en Chine, pour la gloire et l'honneur de Celui Qui a dit: Allez répandre la Bonne Nouvelle à toutes les nations!  ”.

Texte établi d’après l’article du  Chinese Herald   - juin 1935.
publié en anglais dans Orthodox Life  [1979, n°1]
puis Living Orthodoxy  (March-April 1997)

traduit par Thierry Cozon.

Notes :
1) En 1898 et 1899, le gouvernement Chinois, conduit par l'Impératrice Douairière Ts’eu Hi, dans une tentative de protéger le Royaume des agressions étrangères, ordonna la résurgence des milices villageoises. Les membres de plusieurs sociétés secrètes entrèrent dans ces milices. Ces membres des sociétés secrètes pratiquaient des rites occultes qui selon leur croyance les rendaient invulnérables aux balles. Plusieurs recoupements indiquent que ces rites pratiqués par ces "Boxers" comme les appelèrent les Européens avaient à voir avec le Jiu Jitsu. Criant des slogans comme "Protégez la Patrie, détruisez les étrangers!", les Boxers commencèrent à persécuter les Chinois autochtones chrétiens vers l'automne 1899. Au début de juin 1900, un essai infructueux des principales puissances européennes à soutenir les troupes cantonnées à Pékin aggrava la situation et lorsque, le 17 Juin, elles prirent les forts du Taku pour ouvrir la voie sur Pékin et Tientsin, l'impératrice ordonna la mise à mort de tous les étrangers. Le carnage qui engloba bon nombre de diplomates occidentaux et de missionnaires, dura jusqu'à la fin 1900.

2) Saint Nicolas, Illuminateur du Japon. [cf une vie détaillée dans La Voie Orthodoxe n°5,  pp. 2-7(été 1994)].

 

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